Compte rendu des Rencontres du Havre (mai 2017)
Comme le veut la tradition, le secrétaire de l’AECiut livre une « petite » synthèse des Rencontres, histoire de donner un aperçu de ces deux journées avant la mise en ligne de chacune des contributions.
Jeudi 18 mai
- 8 h 15: café d’accueil
En cette matinée pluvieuse, quelques instants avant l’ouverture des Rencontres, les membres du Bureau de l’AECiut sont bien moins stressés qu’à leur habitude à la même époque… Le changement apporté cette année dans le système d’inscription leur permet en effet de se libérer de l’éprouvante tâche de l’enregistrement des participants pour les accueillir comme il se doit, c’est-à-dire sans avoir à « parler argent ». Ils retrouvent ainsi, autour d’un petit café, les collègues qui n’étaient pas présents au dîner, la veille au soir, au restaurant libanais Zgorthiote. Finie aussi la distribution traditionnelle des petites sacoches juste avant le début des Rencontres ! Cette fois-ci, elles attendaient sagement et patiemment les participants à leur arrivée la veille dans leur hôtel, lesquels pouvaient satisfaire leur curiosité au plus vite en découvrant les petits cadeaux de bienvenue que les organisatrices y avaient placés.
- 8 h 30– 9 h 00 : discours d’ouverture
– Pascal Plouchard, Président de l’AECiut
Pour la première année de son mandat de président de l’AECiut, Pascal Plouchard ouvre ces Rencontres du Havre avec d’autant plus d’émotion qu’il retrouve la Normandie, où il a longtemps exercé à l’IUT (Rouen, département MP).
– Corinne Renault, Vice-Présidente de l’Université CFVU
Corinne Renault nous réserve un accueil chaleureux, en sa qualité de Vice-Présidente chargée de la formation. C’est l’occasion pour elle, après avoir remercié toutes les personnes qui ont œuvré pour la tenue de ces Rencontres, de souligner que les thématiques qui sont à notre programme sont bien des préoccupations de l’Université tout entière, qu’il s’agisse de l’articulation entre recherche pédagogique et pratique pédagogique ou bien encore de l’esprit critique, une des valeurs fondamentales de l’Université.
– Stéphane Lauwick, Directeur de l’IUT
C’est au tour de Stéphane Lauwick, directeur de l’IUT du Havre, d’intervenir pour nous souhaiter la bienvenue. Il tient tout d’abord à souligner l’esprit de collaboration dans lequel travaillent l’Université et l’IUT, avant de s’attarder sur le rôle, central selon lui, des enseignants d’expression-communication en IUT. Ce sont de véritables spécialistes disciplinaires qui savent parfaitement se mettre au service de tous pour travailler dans la pluridisciplinarité, au sein des équipes pédagogiques. Ils forcent même d’admiration de Stéphane Lauwick, puisque, pour les étudiants eux-mêmes, beaucoup d’entre eux acceptent, dans le cadre des PPP, de se débarrasser de leur spécialisation.
Après avoir rapidement passé en revue nos thématiques de travail, qui sont autant de défis à relever, Stéphane Lauwick s’exprime enfin en qualité de vice-président de l’ADIUT. Il forme le souhait que puissent davantage se développer les relations entre l’IUT et les différentes associations disciplinaires, dont l’AECiut, et il évoque le dernier défi en date, le PTGL, le fameux parcours technologique au grade de licence, dont chacun, à son niveau, doit pouvoir s’emparer pour garantir aux étudiants une sortie de l’IUT pleinement réussie. Il clôt son intervention en nous souhaitant des journées de travail fructueuses.
Thème 1 – Comment aborder la communication non-verbale avec les étudiants ?
- 9 h 00 – 10 h 00: « Chimères et contre-vérités du « langage non verbal »
et son décryptage. Peut-on accorder du crédit à la série Lie to me ? »
Pascal Lardellier (Université de Bourgogne Franche-Comté)
Avec force anecdotes, Pascal Lardellier présente la véritable « croisade » qu’il mène avec constance et détermination depuis plusieurs années contre la pseudo-science qu’est la synergologie et ses sectateurs. Le contexte ne lui est guère favorable, du fait de la tension qui existe entre, d’une part, la pression médiatique et sociale qui pousse au recours à l’expertise de la synergologie et, d’autre part, l’exigence théorique scientifique universitaire. Ces méthodes pseudo-scientifiques ont même fini par faire leur entrée dans les pratiques judiciaires ; ce qui justifie encore un peu plus l’engagement de Pascal Lardellier dans son combat.
Pascal Lardellier commence par décrire la façon d’agir de ces « références » en la matière. Elle est très révélatrice… Il n’est qu’à voir la façon dont ces auteurs prolifiques se présentent ou sont présentés : l’orientation éditoriale est indéniablement et outrageusement commerciale. Ces « experts » sont très actifs dans le domaine entrepreneurial, assurant nombre de formations en coaching. Ils se dérobent systématiquement à la confrontation directe argumentée, le seul mode de débat scientifique qu’ils connaissent étant l’assignation devant les tribunaux…
Le principe sur lequel repose cette pseudo-science est le suivant : il existe une grammaire du corps humain. Qui en détient les codes peut lire à livre ouvert en chaque individu. À quelles fins ? Les réponses sont nombreuses : comprendre les gens, savoir s’ils mentent… et, également, pouvoir les « manipuler » par la suite. Pascal Lardellier met ainsi en évidence les différents enjeux de pouvoir que ces décrypteurs du corps et de l’âme laissent entrevoir à ceux qui vont alors se laisser abuser. Dans le monde de l’entreprise, ce sera la perspective commerciale des techniques de vente ou la question du recrutement. Dans la sphère privée, ce sera le marché du domaine de la séduction. En d’autres termes, conclut Pascal Lardellier, sous couvert d’un discours scientifique, le principal objectif est toujours d’ordre commercial. Mais il va même plus loin, allant jusqu’à parler d’un véritable « discours para-sectaire ».
Ce faisant, Pascal Lardellier finit par en arriver à la fameuse série Lie to me, diffusée en son temps sur M6, qu’il a pu analyser en cours avec ses étudiants. Aussi court-soit-il, le générique qui nous est diffusé se suffit à lui-même pour permettre d’illustrer la supercherie qui est à l’œuvre. Le spécialiste en la matière, le docteur Cal Lightman, vient en aide au FBI en décelant les micro-expressions sur le visage de tel ou tel personnage. Il sait donc qui ment ou qui dit la vérité. Certes, il ne s’agit que d’une fiction ; mais derrière cela, il y a bien la réalité de ce présupposé : les émotions sont universelles… et les expressions du corps qui les révèlent le sont tout autant. Derrière le nom du protagoniste, le docteur Cal Lightman, c’est en effet bien évidemment celui de Paul Ekman que l’on aura reconnu…
Pascal Lardellier revient enfin sur cette pseudo-science, dont les fondements sont viciés et vicieux. Dans l’abondante littérature qu’il a analysée, il retient des constantes : la généralisation y est permanente, tout comme le recours à l’argument d’autorité, qui n’est même pas une publication scientifique, mais un simple proverbe ou une belle citation éculée. Dans tous ces ouvrages, les relations sont déritualisées, décontextualisées et désociologisées : tout ce qui peut relever des domaines culturel et individuel se trouve évincé ; tout ce qui relève de l’interaction est soigneusement et systématiquement omis. Or dans le domaine du non-verbal, rappelle Pascal Lardellier, il ne faut jamais oublier qu’il existe des gestes conventionnels, codés, et des gestes indiciels. Le sens que l’on peut trouver dans le non-verbal s’inscrit dans une démarche exclusivement empirique qui ne saurait faire abstraction du contexte. Mais surtout, ce sens demeure extrêmement hypothétique. Il y a donc bien, dans ces conditions, deux mondes qui s’ignorent : l’un relève du seul « business » et trouve un écho certain dans la cité et les médias en quête de sens caché à décrypter ; l’autre est le discours scientifique, universitaire.
Au final, que retenir de tout cela ? Dans une dernière anecdote, Pacal Lardellier nous livre la leçon de modestie sur le non-verbal qu’il a reçue d’un des maîtres en la matière. Au terme de sa longue carrière, ce dernier a confié à Pascal Lardellier qu’il ne lui est resté en réalité que deux certitudes à propos du non-verbal :
– « la dynamogésie énonciative », le geste accompagnant la parole ;
– « l’échoïsation empathique » ou synchronisation.
Dans ce contexte ambiant dans lequel prolifèrent les charlatans et leurs discours, Pascal Lardellier nous invite alors à ne surtout pas baisser les bras, mais bien plutôt à lutter contre cette image absolument désastreuse de la communication qui est ainsi véhiculée et à nous opposer ainsi au risque – avéré selon lui – du « délit de sale geste ». D’un point de vue pratique, il nous engage donc à ne pas nous laisser entraîner par les étudiants vers ce côté obscur et dangereux. Il est toujours possible, explique-t-il, de travailler avec eux sur le non-verbal, mais que cela se fasse, ajoute-t-il, avec des éléments basiques et sérieux, comme les travaux de l’école de Palo Alto, la Rhétorique de Quintilien ou encore l’expression théâtrale.
L’intérêt des participants pendant la conférence est à la mesure du nombre de questions qui sont posées à Pascal Lardellier ; mais les organisatrices sont bien obligées de faire respecter le programme…
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10 h 00 – 11 h 30 : World café : « Parlons du non-verbal ! »
D’auditeurs qu’ils étaient, les participants se font désormais pleinement acteurs avec le « World Café », une petite innovation de cette édition des Rencontres qui permet à tous, et non plus à seulement quelques pauci electi – en d’autres termes nos traditionnels « orateurs » –, de contribuer à l’avancée de la réflexion sur le non-verbal.
Le principe en est très simple. Les organisatrices ont retenu cinq questions que les « hôtes » sont chargés de poser aux différents petits groupes « d’ambassadeurs d’idées » qu’ils accueillent successivement, la rotation des groupes se faisant au son de la corne de brume.
– A. À quelles fins enseigner le non-verbal ?
– E. De quoi avons-nous besoin pour enseigner efficacement le non-verbal ?
– C. Qu’est-ce qui nous échappe dans l’enseignement de la communication non verbale ?
– I. Comment prenons-nous en compte le non-verbal dans nos relations avec nos étudiants ?
– U. La communication non-verbale est-elle un objet d’enseignement comme un autre ?
Indépendamment de la réflexion intense que ces différentes questions ne manquent pas de susciter, chaque participant aura pu trouver dans cette nouvelle formule matière à renouveler son propre enseignement de la réunion. Rien de tel, en effet, qu’un World Café pour mettre nos propres étudiants en activité et continuer ainsi, dans le droit fil de la perspective ouverte par Florence Miton lors des Rencontres de Montbéliard l’an dernier, à leur faire intégrer les mécanismes de la réunion par la pratique…
À toutes fins utiles, voici donc les consignes que chaque animateur a reçues.
1. Accueillez les ambassadeurs d’idées et présentez-leur la question.
2. Faites en sorte que tout le monde puisse s’exprimer. 3. Prenez des notes et proposez une rapide synthèse à la fin de la discussion. 4. Restez à votre table lorsque les autres partent. 5. Accueillez les nouveaux venus des autres tables et présentez-leur la question. 6. Résumez en quelques mots les idées fortes de la conversation précédente pour permettre aux autres participants d’établir des liens et de développer leurs idées issues de leur table respective. 7. Avec les derniers ambassadeurs des idées faites une synthèse globale pour la présenter en cinq minutes à l’oral… |
- 12 h 00 – 13 h 30: déjeuner à la plage au Nutris’co, restaurant tout feu tout flamme
Malgré le temps qui ne s’y prête guère, la petite escapade à la plage pendant la pause méridienne est maintenue. Nous nous retrouvons donc tous au Nutris’co avec sa vue imprenable sur la mer et sur les porte-conteneurs qui arrivent au Havre ou qui en repartent… pour autant que la buée sur les vitres de ce restaurant, qui a fait des woks sa spécialité, puisse le permettre.
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13 h 45 – 14 h 45 : conclusions de l’atelier World café : « Parlons du non-verbal ! »
La première thématique de nos Rencontres se clôt en début d’après-midi sur une synthèse des ateliers du World Café. Les « hôtes » prennent successivement la parole pour relever les points saillants des fructueux échanges de la matinée. De ce fait, ils placent ainsi les Rencontres sous le signe du travail collaboratif. Chacune de ces synthèses est appelée à être en ligne sur le site, bien évidemment.
A… E… C… I… U… Mais comment se fait-il qu’il manque la lettre T ? Non, nous n’avons aucun reproche à adresser à nos organisatrices : elles ne se sont pas trompées. Elles nous ont juste réservé une petite surprise.
La lettre T n’a pas été oubliée : c’est juste un T comme « Travail à la maison ». Il appartient en effet à chacun d’entre nous d’apporter la touche finale à ce World Café en répondant à la question suivante : « Quels exercices imaginer pour sensibiliser les étudiants aux rôles du non-verbal dans la communication interpersonnelle ? » Pour ceux qui auraient malencontreusement égaré la fiche qui leur a été distribuée, peut-être est-il souhaitable de redonner les consignes précises.
1. Ruminez et digérez tous les échanges que vous avez vécus et tout ce que vous avez entendu.
2. Imaginez au moins un exercice pour travailler le non-verbal avec vos étudiants. 3. Envoyez votre proposition à Laurence Nivet et à Muriel Fendrich avant le 25 juin 2017. 4. Laissez mitonner et attendre une compilation de vos propositions sur le site. |
En réalité, vos contributions sont appelées à alimenter le manuel d’exercices que l’Association vient, la veille, de se donner pour objectif de réaliser. Nous comptons sur vous ! Et dites-vous bien que si vous avez laissé passer la date fatidique (« dead line »), nous ne refuserons jamais vos propositions…
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Thème 2 – Accompagner les étudiants dans le développement de leur esprit/pensée critique
- 14 h 45 – 16 h 15 : « L’esprit critique à portée de main »
Christine Jacqmot (Université Catholique de Louvain)
Avec sa conférence invitée, Christine Jacqmot ouvre la deuxième thématique de ces Rencontres sur l’esprit critique. Le développement de l’esprit critique, commence-t-elle par expliquer, est d’ordre essentiellement pratique. Il ne saurait s’agir de délivrer des cours spécifiques en la matière. Au contraire, il nous revient d’intégrer l’esprit critique dans les différentes pratiques de tous les jours avec les étudiants. Mais plus encore que d’esprit critique, il convient de parler de « pensée critique ». Pour définir ce concept, Christine Jacqmot fait appel aux travaux de Stephen Brookfield, de Mathew Lipman ou de Robert Ennis, pour qui la pensée critique est « une pensée raisonnable et réflexive orientée vers une décision quant à ce qu’il faut croire ou faire ». Elle fait ainsi état de la typologie de Ennis avec ses douze capacités de la pensée critique.
Selon quelles modalités est-il possible, pour les enseignants, de faire travailler la pensée critique, sans, à proprement parler, faire de cours spécifique sur la notion ? Pour répondre à cette question, Christine Jacqmot commence par détailler un exemple de dispositif mis en œuvre depuis 2000 à l’Université de Louvain : l’APP (apprentissage par problèmes). L’APP se déroule suivant différentes phases successives par lesquelles doivent passer les étudiants. Dans la « phase aller » de l’APP, les étudiants sont confrontés au problème et à leurs connaissances et/ou à ce qu’ils croient connaître. D’où la nécessité pour eux de se construire un énoncé du problème. Des références sont mises à leur disposition. Vient ensuite la « phase d’apprentissage ». Suit l’application en travail en groupe et la résolution du problème. Enfin, c’est la « phase retour », celle qui permet de revenir sur le processus.
Mais d’autres activités pédagogiques existent, bien évidemment. Il est toujours possible de rendre les étudiants intellectuellement actifs par le biais de sondages, même si cela confine surtout le dispositif à un gadget. Nous pouvons toujours susciter des recherches additionnelles, pousser les étudiants à l’analyse en mettant en place différents procédés. La prise de notes s’avère en ce sens suffisamment complexe pour permettre de développer cette compétence, au même titre que d’autres types d’exercices comme l’établissement de la synthèse d’un texte ou la rédaction d’une une de journal, etc.
Continuant de décrire les pratiques en vigueur à l’Université de Louvain, Christine Jacqmot en vient à aborder les modalités de travail avec les étudiants. Si l’on veut déclencher la pensée critique chez les étudiants, il est essentiel, selon elle, de les pousser au questionnement. À cette fin, Christine Jacqmot nous suggère de cultiver un « arbre de questions », selon trois voies :
– questions sur l’amplitude (« Qu’est-ce qui doit être fait ? ») ;
– questions sur la construction de connaissance (« Comment connaissez-vous cela ? ») ;
– questions relevant de la métacognition (« Que changer ? »).
Christine Jacqmot aborde ensuite le problème de l’évaluation. Les travaux menés sur la pensée critique en contexte de stages en soins infirmiers au Département des soins infirmiers du Cégep de Sainte-Foy (Université de Sherbrooke, Canada) lui permettent d’introduire le problème. La recherche à laquelle elle fait référence a mis en valeur la nécessité de produire des critères d’évaluation objectivables, sous la forme de grilles. C’est alors l’occasion pour elle de présenter quelques projets relevant de tâches complexes à l’Université de Louvain qui sont proposés aux étudiants et qui nécessitent des grilles d’évaluation complexes.
En matière de grilles d’évaluation, elle nous propose quelques outils. Elle suggère de raisonner en terme de critères de réussite attendus. La grille ainsi constituée comprendra quatre niveaux : niveau « inférieur », « moyen » (composé de deux sous-niveaux) et « exceptionnel ». À cet égard, on consultera avec profit le site http://www.aacu.org/value. N’oubliant jamais d’associer la théorie à la pratique, Christine Jacqmot soumet un exercice d’application à notre docte assemblée. À nous d’établir les attendus pour les différents niveaux de réussite à propos d’un des critères d’Ennis : « utiliser et mentionner des sources crédibles ».
Dans la dernière partie de son intervention, Christine Jacqmot souligne le fait que ce ne sont pas seulement les enseignants qui sont concernés par le développement de la pensée critique. Il revient également aux étudiants eux-mêmes de se prendre en charge au quotidien. Elle s’attache alors à montrer le travail de co-construction auquel on peut aboutir avec les étudiants, capables d’abandonner d’eux-mêmes le « prêt-à-penser » pour se révéler « prêts à penser ».
L’Université de Louvain est pleinement engagée dans le dialogue permanent avec les étudiants. Elle ne pouvait donc que réagir favorablement à la publication du numéro d’une revue étudiante demandant une évolution substantielle des pratiques à l’Université. Les étudiants ne s’étaient pas contentés de poser un diagnostic ; ils s’étaient faits force de proposition en présentant des objectifs à atteindre, repris dans une charte, ou même en soumettant des idées à mettre en œuvre.
À cela, l’institution a répondu favorablement en modifiant le parcours académique pour y intégrer trois nouveaux éléments. Une nouvelle « mineure », d’un volume de 30 ECTS, permet d’aller suivre des cours d’une autre faculté. Il s’agit d’une sensibilisation aux enjeux de la société, selon trois perspectives : culture et création avec un artiste invité en résidence ; développement durable ; études du genre. L’« alter-cours », autre nouveauté instituée, se donne deux objectifs : faire porter aux étudiants un regard différent sur leur matière et susciter ainsi leur questionnement, par la venue d’un intervenant-visiteur issu d’une autre culture, d’une autre discipline. Ces séances d’enseignement, d’une durée de deux heures, sont proposées à l’initiative des étudiants eux-mêmes, qui sont chargés de la gestion du budget correspondant. Enfin, l’Université a souhaité développer une autre forme d’apprentissage, toujours connectée aux matières, mais cette-fois-ci pratique : les stages.
Christine Jacqmot conclut son intervention en faisant référence aux travaux de Daniel Willingham. Elle insiste sur le fait que l’esprit critique ne se travaille pas selon des programmes spécifiques, car cela reviendrait à un cloisonnement. Au contraire, il se pratique dans la discipline, charge à l’enseignant, dans ses propres cours, de faire varier le niveau de complexité abordé et de rendre explicite la stratégie de pensée critique.
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- 16 h 15 – 16 h 30 : pause
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- 16 h 30 – 17 h 00 : « Déconstruire la rhétorique complotiste
en cours d’expression-communication »
Clémentine Hougue (IUT du Mans)
Rares étaient celles et ceux qui connaissaient cette jeune collègue avant son intervention. Mais les participants de la journée d’études « Décrypter la propagande djihadiste en IUT : pistes pédagogiques » le 11 juin 2016, à IUT de Marne-la-Vallée (site de Meaux) avaient déjà eu la chance et le plaisir de l’écouter. Clémentine Hougue y avait pris la parole pour présenter une communication sur le même sujet. Seulement, à ce moment-là, elle n’en était qu’à l’étape de la présentation d’un projet. L’année année universitaire 2016-2017 lui a donné les moyens de mettre en musique ce beau projet pédagogique avec ses étudiants de MP, au S2.
De la méthode avant toute chose ! Avant même que de relater sa séquence, Clémentine Hougue expose brièvement les mécanismes qui sont à l’œuvre dans le cadre de cette rhétorique si particulière. Pour ce faire, elle se réfère aux travaux de Loïc Nicolas (2014), lequel recense dans le discours complotiste cinq topiques :
– « À qui profite le crime ? »
– « Rien n’arrive par accident. »
– « Rien n’est tel qu’il paraît être. »
– « Tout est lié, des forces occultes tirent les ficelles. »
– « Qu’on me prouve le contraire ! »
Elle convoque également Gerald Bronner, qui a identifié trois « effets » :
– « l’effet fort » consiste à utiliser une succession d’arguments dont l’accumulation fait alors naître le doute, le nombre compensant ainsi très avantageusement la faiblesse argumentative de chaque élément ;
– « l’effet de dévoilement » repose sur une habile reconstruction qui vise à donner de la cohérence à des éléments qui n’ont manifestement aucun lien entre eux ;
– « l’effet Othello » caractérise le pouvoir de la narration, laquelle augmente ainsi la crédibilité d’une conclusion potentiellement improbable.
Une fois ces éléments de définition posés, Clémentine Hougue peut passer à la mise en œuvre pédagogique de son projet. Elle commence par nous sensibiliser au bon diagnostic qui est à poser. Le problème ne vient pas, explique-t-elle, d’un manque d’éducation ni même d’un rapport à la connaissance, mais bien plutôt d’un rapport particulier avec les méthodes. Dans ces conditions, il ne s’agit pas de développer une logique argumentative pour lutter pied à pied contre une autre logique argumentative ; ce qui serait particulièrement énergivore. Mais au contraire, comme le propose Clémentine Hougue, si l’on se « contente » d’observer sans juger, si l’on cherche à comprendre le fonctionnement de ces discours, alors il doit y avoir moyen de faire bouger les lignes chez les étudiants. Il convient donc de s’attacher à un enseignement de la méthode et non du savoir.
Ce travail, réalisé en S2 avec des étudiants de MP, donc normalement déjà sensibilisés à la démarche et à la méthode scientifiques, s’inscrit bien dans le cadre du PPN et plus précisément encore dans la continuité de son projet pédagogique annuel : au S1, Clémentine Hougue avait travaillé sur les préjugés et les stéréotypes avec l’établissement d’une bibliographie qui documente des stéréotypes. Un travail conséquent sur la fiabilité des sources avait été ainsi entrepris ; ce qui ouvrait ainsi la voie au S2 et à la thématique de l’argumentation.
L’importance accordée à cette question de la rhétorique complotiste explique le volume horaire que Clémentine Hougue lui a consacré : 11h15 ; ce qui représente 50% du S2. Cette séquence s’articule en trois temps : méthodologie de la recherche, analyse de la rhétorique, appropriation des codes par la production d’une théorie du complot.
Le travail de recherche documentaire qui est demandé aux étudiants vise à les sensibiliser, entre autres, au « biais de confirmation ». Il leur est demandé de chercher des informations allant dans le sens d’idées préconçues. Plusieurs théories du complot sont recensées, chaque groupe d’étudiant devant en analyser une. Les étudiants sont sensibilisés à l’importance de la formulation d’une requête dans un moteur de recherches. Les observations consignées sur les différents sites consultés permettent de construire une méthodologie d’évaluation d’un site internet. On retiendra aussi facilement que ses étudiants l’acronyme qu’elle donne comme moyen mnémotechnique permettant de retrouver ces différents critères d’évaluation : APERO !
Actualité de la page
Provenance du blog ou du site
Exactitude des sources, des dates
Réputation de l’auteur
Objectivité versus prise de parti manifeste.
Les étudiants arrivent ainsi à se rendre compte que les « auteurs » de ces sites n’en sont pas, que l’absence de sources est la règle et que bien des choses qui n’ont rien à voir entre elles sont reliées. La distinction fondamentale entre « corrélation » et « causalité » peut alors émerger. Une séance de travail est ensuite consacrée aux « biais cognitifs » et au concept « d’avarice mentale ».
Viennent ensuite les études de cas portant sur le discours complotiste lui-même. Sont convoquées analyse rhétorique et sémiologie de l’image. La grille d’analyse qu’elle fait utiliser à ses étudiants à cette fin aurait sans doute mérité, concède-t-elle, qu’elle la leur fasse construire. Dans un dernier temps, les étudiants se trouvaient investis d’une mission : inventer une théorie du complot et l’expliquer dans une vidéo. Les exemples qui sont très vite présentés montrent l’imagination débordante à laquelle se sont livrés les étudiants et illustrent bien la maîtrise qu’ils ont fini par acquérir des différents concepts travaillés en cours.
Hélas ! Pressée par le temps, Clémentine Hougue n’a malheureusement pas eu la possibilité de développer son projet autant qu’elle l’avait prévu. Mais le peu qu’elle a pu exposer de sa riche communication ne pouvait que susciter tout l’intérêt de l’auditoire et donner bien des idées à nombre d’entre nous. Nous attendons donc avec grande impatience la mise en ligne de son dense diaporama.
Bronner, Gérald. La Démocratie des crédules. Paris : PUF, 2013.
Nicolas, Loïc. « L’évidence du complot : un défi à l’argumentation. Douter de tout pour ne plus douter du tout », Argumentation et Analyse du Discours [En ligne], 13 | 2014, mis en ligne le 14 octobre 2014, consulté le 7 juin 2017. URL : http://aad.revues.org/1833 ; DOI : 10.4000/aad.1833.
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- 17 h 00 – 17 h 30 : « (R)éveil de l’esprit critique à l’aide des outils pantopiques »
Carmen Andreï (Université Dunărea de Jos, Galaţi, Roumanie)
Profitant de son séjour en France dans le cadre d’un programme Erasmus +, Carmen Andreï nous a fait l’amitié de participer à nos Rencontres. Elle nous propose un exercice didactique dans le but d’éveiller et de réveiller l’esprit critique, donnant à « l’esprit critique » le sens attribué par les philosophes des Lumières… pour l’appliquer toutefois à notre monde : tout soumettre à la raison, prendre des distances par rapport aux fata morgana du numérique, de l’Internet.
Elle présente donc pour cela un site internet, étrange à bien des égards, à visée encyclopédiste universaliste. Ce portail (http://pantopie.org) présente l’avantage d’être multilingue, durable et en libre accès. Son concepteur, Eric Cattelain (département MMI de l’IUT de Bordeaux), docteur en linguistique et créateur du langage universel Unideo, a fondé des partenariats sur l’exploitation de l’intelligence pédagogique qui ont eu comme débouchées un projet interculturel et éducationnel Alliances 25 « Un jour, un lieu : cultivons nos cultures ».
Il définit l’ambition de son site en revenant sur son nom en ces termes : « Le mot “pantopie” a été utilisé par Michel Serres dans La légende des anges en 1993, arguant que tous les lieux sont en chaque lieu et chaque lieu en tous lieux. Sans avoir connaissance de cette référence, il a été employé pour la présentation du système UNIDEO en 1998, dans l’idée d’une “entreprise de tous les lieux”. L’indéfinition actuelle, poursuit-il, est la suivante : “Manière de penser et vivre le monde en sa pleine diversité accordant à chaque lieu, à chaque être, l’importance et la dignité auxquelles il a droit, tout en le replaçant dans un vaste réseau de correspondances spatio-temporelles, de reconnaissance mutuelle et de responsabilité commune où il prend tout son sens.” »
La présentation des différentes rubriques ou des différents « outils pantopiques » (À la une, Calendrier, Citation, Écriture, Indéfinition, Les mots de, Semiovalley, Lexiplanet, Langues, Histoire, Pays, Patrimoine Mondial, Sinograph, Polyglotti, Unideo, Veillée, etc.) à laquelle se livre Carmen Andreï laisse aux participants tout le soin d’exercer leur sagacité et leur propre esprit critique sur le contenu et sa valeur de ces éléments, en même temps qu’il incite chacun d’entre nous à réfléchir sur la manière de pousser nos étudiants à en faire preuve d’esprit critique quand il s’agit de naviguer sur la toile et d’y diffuser du contenu.
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- 17 h 30 – 18 h 00: « Esprit critique : osons le débat ! »
Cécile Gavoille (IUT d’Orsay)
La dernière communication de la journée est consacrée à la mise en œuvre du débat argumenté comme moyen de développer l’esprit critique dans le cadre d’une éthique relationnelle. Cécile Gavoille et sa collègue Gaëlle Guyot-Rouge avaient décidé, cette année, de conférer une place de choix au débat dans leurs cours. Le débat s’inscrit tout naturellement dans le cours de communication comme un exercice tissant des liens très forts avec les programmes du DUT : au semestre 1, les PPN insistent particulièrement sur la « communication interpersonnelle » et « une sensibilisation à l’environnement culturel et interculturel ».
Mais il prend aussi tout son sens dans le contexte ambiant dans lequel nous nous vivons. Les espaces dédiés à l’échange, dans le respect des idées divergentes, se font de plus en plus rares… et sans doute en est-il de même pour les espaces de parole tout court, à l’heure où les nouvelles technologies captent notre attention et nos esprits et à l’heure où l’individu se mire trop complaisamment dans son propre miroir.
Enfin, l’activité du débat prend encore plus d’acuité dans le contexte socio-politique actuel très tourmenté qui génère chez nos étudiants – et parmi nous – une angoisse sourde ou visible… Il s’agissait donc également, explique Cécile Gavoille, de faire face, du mieux qu’il était possible, au désarroi lié aux attentats, et plus généralement au chaos actuel (guerre en Syrie, théories du complot…). Le contexte anxiogène de « l’état d’urgence » dans lequel nous vivons n’est-il pas de nature à pousser à « l’urgence du débat », sous toutes ses formes ? Quoi de mieux, en effet, que le discours structuré, la recherche commune d’un sens possible, pour reprendre pied et retrouver un peu d’espoir et de concorde, malgré les désaccords ? Le débat est censé réinjecter de la complexité dans la pensée, introduire de la différence pour devenir un authentique espace culturel… et démocratique.
Cécile Gavoille nous fait alors le récit de son expérience pédagogique en détaillant les circonstances de l’organisation du débat qu’elle a mené. La thématique et les différentes sources avaient été présélectionnées par les enseignantes. Il revenait aux étudiants de repérer les idées et les arguments. Une fois le sujet précis du débat annoncé, les étudiants disposaient alors d’un temps de réflexion et la possibilité de se constituer des fiches. Le débat en lui-même était appelé à durer entre trente et quarante minutes. Mais avant tout, c’était l’occasion de rappeler aux étudiants les règles comportementales à respecter et de leur attribuer les différents rôles : il fallait un animateur, un secrétaire de séance et des participants. Dans ce jeu de rôle, était institué un droit au joker : un étudiant pouvait avoir le droit de quitter son rôle pour en prendre un autre, le temps d’un court instant. Un bilan à la fois oral et écrit a pu être établi, sans que le débat ait pour autant donné lieu à une évaluation.
Mais Cécile Gavoille sait elle-même faire preuve d’esprit critique sur l’expérience qu’elle a menée : elle nous livre, avec la hauteur de vue et le recul nécessaires, un certain nombre de questions pour lesquelles elle n’a pas encore trouvé de réponses satisfaisantes : organiser des débats ne se fait pas sans risques. Que faire si le débat, malgré les thématiques choisies, ne parvient pas à prendre ? Comment réagir dans le cas de dérives manifestes ? Comment arriver à gérer les « sans voix », dont le silence, sous la pression sociale, finit par devenir problématique ? Comment, enfin, parvenir à une évaluation qui soit satisfaisante à tous égards ? Voilà autant de questions qui restent ouvertes et qui soulignent la difficulté de la tâche, sans toutefois être de nature à en remettre en cause le bien-fondé.
Cécile Gavoille clôt son intervention en sensibilisant l’auditoire à la nécessaire continuité pédagogique qu’il resterait à construire de l’école primaire au supérieur pour développer la compétence à « mener un débat argumenté ».
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- 20 h 00: soirée maritime au Country Club, restaurant panoramique
La soirée sur laquelle s’achève cette première journée des Rencontres se déroule au Country Club, un établissement aussi renommé pour sa vue panoramique, exceptionnelle, que pour sa gastronomie. L’on se prend juste à regretter que le temps ne soit pas aussi clément qu’on le souhaiterait : quelques jours à peine avant nos Rencontres, il était encore possible de prendre l’apéritif sur la terrasse ! Heureusement, les spécialités normandes nous font bien vite oublier ce temps maussade, les discussions animées et passionnées, qui prolongent les échanges de la journée, apportant la chaleur qui fait cruellement défaut à l’extérieur.
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- 8 h 30 – 9 h 00 : « Créer des infographies pour développer son esprit critique »
Christine Bolou-Chiaravalli (IUT Belfort-Montbéliard)
Christine Bolou-Chiaravalli, qui nous a habitué à la régularité de ses participations actives aux Rencontres, revient cette année pour nous proposer de renouveler les exercices canoniques du CV et de l’exposé grâce à « l’infographie », un concept dont il ne faudrait pas croire qu’il est particulièrement novateur… puisqu’on en peut faire remonter l’origine au siècle dernier, dans les années 20. Cet outil, nous explique-t-elle, se révèle extrêmement efficace pour développer l’esprit critique de nos étudiants. Elle nous relate ainsi l’expérience pédagogique qu’elle a menée avec des étudiants de deuxième année de MP et qu’elle a eu le loisir de renouveler avec ses étudiants de R&T.
Dans un premier temps, il s’agit de partir avec les étudiants à la découverte du concept d’infographie pour qu’ils en relèvent les propriétés et les codes. Pour cela, deux types d’infographie sont convoqués : la première infographie, dynamique, est une vidéo extraite de l’émission #Datagueule ; la seconde, statique, présente la vie de Steve Jobs. On voit donc déjà là se profiler les deux exercices qui seront demandés par la suite.
Vient ensuite le temps de la création. Christine Bolou-Chiaravalli propose tout d’abord à ses étudiants d’appliquer les codes de l’infographie à leur CV. Si le caractère novateur de cette refonte a pu, au final, laisser sceptiques certains recruteurs, force est de constater que d’autres ont su apprécier la dynamique de ce nouveau type de CV qui leur était envoyé. En tout état de cause, la différence constatée entre le CV classique de première année et le CV reformaté de la seconde est considérable et va indéniablement de pair avec la maturité croissante des étudiants que l’on peut soi-même constater d’une année à l’autre.
L’autre exercice demandé aux étudiants est un exposé, mais réalisé sous la forme d’une infographie, pour une thématique et une problématique laissées libres à l’étudiant. Après la traditionnelle recherche documentaire – qui convoque déjà l’esprit critique pour évaluer la fiabilité de l’information collectée – et le travail de sélection de la matière, arrive le temps de la création pendant une séance TP. Un tel exercice nécessite bien évidemment l’utilisation d’applications dédiées. Mais des ressources gratuites, quelque basiques qu’elles soient, permettent d’obtenir déjà d’excellents résultats. Deux semaines plus tard, c’est le moment de la restitution, sous la forme d’une présentation orale, des infographies réalisées.
Christine Bolou-Chiaravalli a mis au point une grille d’évaluation de l’infographie dont les critères rendent compte de la complexité de cet exercice qui embrasse plusieurs compétences : il doit s’agir d’une simplification visuelle de données complexes, présentées de façon claire et rigoureuse.
Le bilan de cette expérience s’avère globalement très positif : une nouvelle dynamique s’installe en faveur des exposés. Les anecdotes que nous livre Christine-Bolou Chiaravalli sur cette soutenance orale montrent en effet que les étudiants se sont bien appropriés cette nouvelle forme d’exposé, et ce, au-delà de son espérance. Quant au coût induit par la conception des posters, il est dérisoire : pourquoi se priver d’une impression en couleur sur un format A3 légèrement cartonné pour seulement… 0,30€ ?
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9 h 00 – 9 h 30 : « Deux voix pour construire un cours sur la manipulation »
Anne-Marie Hinault et Laurence Nivet (IUT Paris-Descartes et IUT du Havre)
Dans leur communication à deux voix, Anne-Marie Hinault et Laurence Nivet expliquent avoir poursuivi, selon des modalités différentes, le même objectif : mettre en garde les étudiants en les faisant réfléchir sur les ressorts de la manipulation.
Elles commencent par expliquer les différentes raisons qui les ont conduites à travailler sur la manipulation. Les PPN de TC et d’Info, bien sûr, légitiment pleinement ce type de travail en S2. Mais le contexte social et politique, avec la longue séquence électorale et le discours ambiant relayé sur les médias qui nous manipulent, constituait un terrain particulièrement propice à une réflexion de ce genre, sans compter les inévitables clichés traditionnellement véhiculés sur la « communication ». Plus encore, ce sont les étudiants eux-mêmes, avec leurs pratiques actuelles en cours ou futures dans la vie active, notamment en TC avec la « négociation commerciale », qui poussaient à un tel travail, lequel s’intégrait parfaitement bien dans une perspective transversale au sein de l’IUT.
Anne-Marie Hinault et Laurence Nivet exposent ensuite brièvement les sources qu’elles ont utilisées et fait utiliser aux étudiants, avant de présenter les caractéristiques de leur travail respectif qu’elles ne manquent pas de replacer dans leur progression annuelle. En TC, cette séquence sur la manipulation faisait suite au projet « La parole aux étudiants » sur lequel les étudiants d’Anne-Marie Hinault avaient travaillé et constituait une excellente transition vers le S3, où est visé, entre autres, l’apprentissage de la synthèse et de la note de lecture critique. En Info, Laurence Nivet avait déjà préalablement travaillé sur l’argumentation. Sa séquence devait déboucher sur un travail portant sur les outils permettant de lutter contre la désinformation et un projet vidéo : « La manipulation peut-elle être parfois légitime ? »
Chacune nous fait alors le récit du déroulement de sa séquence. En Info, Laurence Nivet a consacré six heures à cette séquence. Elle avait choisi d’aborder tout d’abord la manipulation par le discours, en deux séances (TD puis TP). Après la première séance, les étudiants devaient revenir avec un exemple de manipulation ; ce qui allait fournir la matière du cours suivant. Dans un deuxième temps, il s’agissait d’analyser, grâce à un long article des Décodeurs, un type particulier de manipulation par le discours : la désinformation. N’oubliant pas le type de public constitué par ses étudiants, Laurence Nivet s’est attachée à un type de désinformation particulier au cours des deux séances suivantes (TD puis TP) : la désinformation scientifique. Les articles présentés et analysés ont permis d’élaborer un plan détaillé de synthèse de documents. Enfin, une dernière séance de travail était consacrée à la manipulation mentale, au moyen d’un court extrait de l’introduction du Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens que l’on doit à Robert Vincent Joule et à Jean-Léon Beauvois. Cela fournissait le point de départ pour un exposé demandé aux étudiants.
En TC, le travail s’est réparti sur deux fois moins de temps, en deux séances TD de 1 h 30 chacune, selon des modalités pédagogiques particulières : pratique de classe inversée, toutes les ressources disponibles étant accessibles sur la plate-forme Moodle avant le cours et World Café. La première séance a été consacrée à un World Café ; ce qui a permis à tous de réfléchir au problème de la manipulation. La seconde séance consistait en une synthèse des travaux des étudiants par la création d’une carte mentale. Les concepts ont été ainsi clarifiés et le recours à un certain nombre de ressources a contribué à un approfondissement typologique.
Vient le moment de dresser le bilan de leur expérience. L’une et l’autre reconnaissent un intérêt certain des étudiants, tant pour la thématique travaillée que pour les différentes activités réalisées. Anne-Marie Hinault explique qu’une prise de conscience a pu se faire et que ses étudiants de TC ont entamé un véritable travail d’introspection sur leurs propres pratiques de « techniques de vente ». Laurence Nivet insiste également sur l’évolution de ses étudiants en Info : leur intérêt pour l’actualité s’est développé et une mise à distance salutaire des réseaux sociaux a commencé de s’opérer.
Elles soulignent toutefois les limites qui leur sont apparues au terme de leur travail. Il n’a pu s’agir, en TC que d’une simple sensibilisation à la manipulation. Cette séquence serait donc à prolonger et à approfondir pour être pleinement profitable. Laurence Nivet, quant à elle, doit reconnaître que l’expérience menée en Info s’est avérée paradoxalement contre-productive : sensibilisés, certains étudiants ont fini par faire preuve d’une trop grande méfiance dans leur approche de la communication interpersonnelle : autrui viserait-il sans cesse à nous manipuler ?
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- 9 h 30 – 9 h 45 : pause
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Thème 3 – Les communautés de pratiques
- 10 h 00 – 11 h 00 : « Ensemble, créons une organisation apprenante »
Caroline Letor (Université de Louvain)
Caroline Letor nous présente le fruit de ses recherches qui portent sur « les dynamiques d’apprentissage organisationnel » et qui se basent sur sa longue expérience d’expertise de terrain. Elle définit l’organisation comme tout lieu d’apprentissage. Quant à la dynamique d’apprentissage organisationnel, elle est à comprendre comme un processus collaboratif et organisé d’acquisition de compétences au sein d’un établissement scolaire de manière à agir de façon durable et adaptée au regard des objectifs de l’organisation.
Elle commence par présenter différents types de pratiques qui peuvent exister et montre ainsi toute la rigidité qui pèse sur nos organisations dans le domaine de l’éducation. Dans un second temps, elle développe les différentes dynamiques d’apprentissage organisationnel qu’il est possible de mettre en œuvre.
Au final, Caroline Letor montre qu’il n’est point de spécificité belge en la matière : les éléments de la typologie qu’elle dresse ne manquent pas de faire écho à notre propre expérience professionnelle, qu’il s’agisse de l’enseignement secondaire ou du supérieur. Quant à l’intérêt de son intervention, il apparaît manifestement double : Caroline Letor nourrit notre réflexion sur le fonctionnement de notre système éducatif tout en ouvrant des pistes sur le fonctionnement de notre propre Association ; mais les concepts qu’elle présente doivent pouvoir également être exploités avec nos étudiants, dans le cadre du cours sur la « communication dans les organisations ».
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- 11 h 00 – 11 h 30 : « Fonctionnement de l’AECiut : limites et perspectives »
Pascal Plouchard (président de l’AECiut)
Renommée « De l’Association à la Communauté de pratiques », la dernière intervention est celle du Président de l’Association lui-même.
– Historique de l’association : bilan critique
C’est pour lui l’occasion de présenter l’Association en en retraçant l’historique, pour la mieux faire découvrir aux nouveaux membres, dont le nombre important, cette année, ne peut qu’être interprété que comme de très bon augure. Cette petite structure, rassemblant à ses débuts une toute petite poignée d’enseignants, a su, petit à petit, se faire reconnaître comme un « acteur incontournable » auprès des institutions, comme le montre tout le travail de fond réalisé pour la refonte des PPN de 2013. Les publications, riches et régulières, constituent également une belle carte de visite dont l’Association peut s’enorgueillir à juste titre.
Mais Pascal Plouchard sait rester objectif. Il évoque avec lucidité les limites auxquelles est arrivée l’AECiut. Depuis plusieurs années maintenant, l’Association est confrontée à un problème structurel de renouvellement de ses membres : les responsabilités reposent toujours sur les épaules d’un trop petit groupe de bénévoles, lesquels finissent par s’épuiser à la tâche. Pour preuve de ce problème, il cite le cas de la dernière AG, du 26 novembre 2016, avec son si faible nombre de participants… L’abattement de l’équipe était tel que la dissolution pure et simple a pu être, un temps, très sérieusement envisagée. Le témoignage personnel qu’apporte Giovanna Musillo à sa suite permet de bien comprendre la lassitude extrême qui finit, malgré tout, par s’emparer de ceux qui portent l’Association depuis tant d’années.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le moment phare que constituent les Rencontres est également problématique : une fois le mois de mai passé, l’enthousiasme retombe très vite et l’Association perd tout le bénéfice de la dynamique insufflée. C’est ce que Pascal Plouchard appelle « l’effet tunnel », d’autant plus que l’échange des pratiques et des ressources se fait trop souvent dans un seul et même sens : trop nombreuses sont les pratiques de consommateurs.
Enfin, la reconnaissance institutionnelle repose sur un équilibre, toujours précaire : nous avons eu encore récemment la preuve que l’Association n’est pas toujours aussi connue qu’il le faudrait auprès des départements… et même auprès des enseignants de communication, qu’ils soient vacataires ou bien titulaires.
– De nouvelles perspectives pour l’Association
Voilà pourquoi la dernière conférence de Caroline Letor est particulièrement importante, poursuit Pascal Plouchard. Elle permet de replacer notre Association dans le cadre de sa typologie et nous offre ainsi de nouvelles perspectives qui doivent nous permettre de rebondir pour aller de l’avant…
Le Président retient tout d’abord de cette conférence que l’AECiut relève bien « d’une communauté de pratiques ». Notre « organisation » fonctionne sur un mode libre et non hiérarchique. Notre Association repose sur l’écoute, la confiance et la convivialité, comme en témoigne si justement l’esprit dans lequel se déroulent nos Rencontres. Et s’il est vrai que les controverses ne manquent pas d’être présentes, elles savent toujours rester constructives, dans le respect de tous et pour le bien seul de l’Association.
Mais il convient de s’interroger pour continuer de faire vivre cette « communauté de pratiques ». Et, en ce sens, les défis qui sont à relever sont de taille : ce sont surtout ceux de l’engagement, de sorte que le noyau dur sur lequel repose notre Association puisse enfin s’élargir, et de la reconnaissance institutionnelle, un combat qu’il convient de ne jamais abandonner, tellement il est stratégique à bien des égards.
Dans cette perspective, il est fait état des récentes décisions prises lors de la réunion du Bureau du 17 mai que le Président a voulu élargie à tous les membres On trouvera un compte rendu détaillé de cette réunion sur le site.
AXE 1. Mieux communiquer entre nous
Pour cela, nous pouvons très facilement utiliser la messagerie électronique faisant office de liste de diffusion pour communiquer entre nous tous, explique Laurence Nivet. Solution simple et rapide à mettre en œuvre, elle doit permettre d’attendre l’implémentation du module du forum sur le site. Le site internet doit faire l’objet d’une refonte, avec une rationalisation des différentes rubriques de ressources et avec la création d’un espace bibliographique collaboratif, chacun étant appelé à envoyer une petite notice « critique » des ressources qu’il a découvertes et qu’il souhaite partager avec l’ensemble de notre « communauté de pratiques ». AXE 2. Mieux se faire connaître en étant présents, actifs et réactifs sur les réseaux sociaux. Les structures existent déjà. Il suffit juste de les réactiver pour les faire vivre, et pas seulement le temps des Rencontres. Il ne nous manque plus, pour cela, qu’un « community manager »… À la demande de Pascal Plouchard, Florence Miton, aguerrie à cette pratique dans son IUT, assurera cette fonction, tant pour Facebook que pour Twitter. Twittos, à vos comptes ! Dans le fil de la discussion, Hélène Franoux suggère de nous rendre aussi visibles sur les réseaux sociaux « professionnels » avec LinkedIn. AXE 3. Développer des projets fédérateurs d’envergure à moyen et à long terme Les projets qu’il a été décidé de mener sont aussi nombreux que stratégiques. l’Association a décidé de lancer deux enquêtes. Il est en effet apparu nécessaire, près de dix ans après la première enquête de ce genre, d’établir une nouvelle photographie de l’enseignant d’expression-communication, de son parcours de formation aux responsabilités qu’il est amené à occuper. Les résultats de cette enquête seront appelés à ouvrir le prochain volume de Didactique de la communication. Nous avons également besoin de lancer une enquête sur les « écritures de spécialité ». Cette enquête, destinée aux maîtres de stage et d’apprentissage, doit nous donner les moyens de connaître de façon très précise leurs attentes en matière d’écrits professionnels. Quant aux projets éditoriaux, outre le troisième volume de Didactique de la communication auquel il faudra s’atteler, l’Association souhaite, au lieu de procéder à une seconde édition du Manuel de cours, réaliser un manuel d’exercices, dont le besoin se fait cruellement sentir. D’ores et déjà, plusieurs volontaires se sont manifestés ; mais tout est à construire. À chacun de voir comment s’insérer dans ce projet. Tout le monde est appelé à contribuer, et pas seulement pour le non-verbal… |
Mais l’engagement au profit de l’AECiut, rappelle le Président, peut revêtir bien des aspects de la part de ses membres. L’argent étant le nerf de la guerre, vous pouvez tous solliciter une subvention auprès de votre IUT. À cet effet, le dossier de demande de subvention est téléchargeable sur le site. Il demandera juste à être réactualisé au titre du prochain exercice comptable. Cette année, ce sont les IUT de Tours et de Bordeaux qui ont accepté de s’engager financièrement à nos côtés. Qu’ils soient ici publiquement et chaleureusement remerciés pour la confiance qu’ils nous portent ainsi.
– Interventions de l’assemblée
La parole est ensuite donnée à l’assemblée. Plusieurs participants interviennent. Sylvie Dallet, directrice de l’Institut Charles Cros, en profite pour rappeler l’annonce qui a déjà fait l’objet d’une diffusion sur notre site. Il s’agit d’un appel à communications pour un colloque international interdisciplinaire organisé par l’Université Ferhat Abbas Sétif 1, en partenariat avec le CHCSC (UVSQ Paris-Saclay) et l’Institut Charles Cros. Ce colloque, qui se tiendra à Sétif les 5 et 6 novembre prochain, portera sur « la créativité des territoires, enjeu des formation durables ». Quatre axes d’études ont été privilégiés.
– Axe 1 : l’université et les territoires, expériences et enseignements croisés.
– Axe 2 : place et enjeux des sciences humaines dans les formations professionnelles.
– Axe 3 : outils innovants et potentialités créatives du développement universitaire.
– Axe 4 : aménagement du territoire, environnement et recherche collaborative.
Le comité d’organisation scientifique qu’elle représente, ajoute-t-elle, trouverait particulièrement intéressant d’avoir le point de vue d’enseignants en IUT. Le Bureau prend bonne note de cette « invitation » et ne manquera pas de donner une suite favorable en soumettant une contribution.
Maryvonne Boguet propose d’organiser l’Assemblée générale pendant les Rencontres. Mathilde Nouailler lui répond que l’expérience a montré que le temps des Rencontres est beaucoup trop contraint pour cela. En revanche, l’idée de combiner l’Assemblée générale et une demi-journée de travail sur les différents chantiers qui viennent d’être ouverts fait l’unanimité.
Comme la valeur n’attend pas le nombre des années, Valérie Rodier-Bellec, membre depuis seulement deux ans, se propose de mettre ses compétences d’ancienne modératrice de WebLettres au service de l’Association. Elle en est chaleureusement remerciée.
– Prochain rendez-vous !
Les projets ne manquent donc pas et suscitent adhésion, enthousiasme et prise d’initiative. Notre « communauté de pratiques » se donc met en marche, grâce à tous les talents, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent. Il reste à concrétiser tout cela dans les prochaines semaines : nous vous tiendrons au courant du calendrier et de l’état d’avancement des projets pour que chacun puisse s’y insérer.
Mais d’ores et déjà, une date est à retenir… et à impérativement faire bloquer par votre directeur des études : le vendredi 1er décembre 2017. Cette journée parisienne, exclusivement dévolue à notre « communauté de pratiques », est appelée à être particulièrement dense : la traditionnelle Assemblée générale se tiendra le matin (9h30) à l’IUT Paris-Descartes et une belle après-midi de travail en ateliers nous attendra pour tous ces différents chantiers qui viennent d’être ouverts.
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- 11 h 30 – 11 h 50 : Conclusion des Rencontres
Il reste au Bureau tout entier de l’Association à renouveler ses remerciements à Muriel Fendrich et à Laurence Nivet pour l’accueil qu’elles ont su nous réserver et la qualité de ces Rencontres qu’elles ont organisées.
Le Président n’oublie pas de mentionner le groupe de projet tuteuré qui a accompagné les participants, en amont comme pendant ces Rencontres, pour toutes les questions d’ordre logistique. Discrètes mais ô combien efficaces, Audrey Cristien, Gwénaëlle Joulin et Océane Lebeau, ces trois étudiantes de GEA, ont su contribuer à la pleine réussite de cette manifestation. Si les Rencontres s’arrêtent là pour les participants, c’est loin d’être le cas pour elles : elles vont avoir à dépouiller l’enquête de satisfaction qu’elles ont conçue, à déposer leur rapport et à préparer leur soutenance. Nous leur souhaitons bon courage avec tous nos vœux de réussite dans la dernière ligne droite de leur année.
Mais les Rencontres de 2017 ne sont pas encore terminées qu’il faut déjà penser aux suivantes… Elisabeth Souny, de l’IUT du Limousin (site d’Égletons), se propose d’organiser les Rencontres en 2019, tandis que nos collègues de Reims souhaitent nous accueillir pour l’an prochain. Champagne !
Aussi le son de la corne de brume, qui sied si bien au Havre, peut-il désormais sceller cette seizième édition des Rencontres de l’AECiut.
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- 12 h 00 – 13 h 00 : déjeuner au Restaurant Universitaire Porte Océane
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- 13 h 30 – 15 h 30 : visite du MuMa ou du Centre du Havre (architecture Perret)
Il est toujours difficile de se résoudre à quitter les Rencontres… Aussi, pour ceux qui repoussent le moment de prendre le volant ou de monter dans le train, une après-midi culturelle était-elle proposée. Il suffisait juste, après le repas, de suivre les étudiantes du projet tuteuré. Nous nous sommes alors retrouvés pour prolonger ces Rencontres dans le cadre de « l’after », avec, au choix, une visite commentée du centre-ville (sous le soleil !) ou bien une visite guidée du MuMA, le fameux Musée Malraux, dont l’architecture et les trésors qu’il recèle méritent réellement le détour.
S’il avait un regret à formuler, ce serait bien celui-ci : avoir dû quitter le Havre une semaine trop tôt, c’est-à-dire avant le lancement des festivités organisées pour les 500 ans de cette si belle ville.
Jean-Louis Fort
secrétaire de l’AECiut